Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°1422)

Chapitre VII

Denise vit Bourras préoccupé pendant une quinzaine de jours. Il tournait fiévreusement, métrait les murs de sa maison, la regardait du milieu de la rue, avec des airs d'architecte. Puis, un matin, des ouvriers arrivèrent. C'était la bataille décisive, il avait l'idée téméraire de battre le Bonheur des dames sur son terrain, en faisant des concessions au luxe moderne. Les clientes, qui lui reprochaient sa boutique sombre, reviendraient certainement, quand elles la verraient flamber, toute neuve. D'abord on boucha les crevasses et on badigeonna la façade ; ensuite, on repeignit les boiseries de la devanture en vert clair ; même on poussa la splendeur jusqu'à dorer l'enseigne. Trois mille francs, que Bourras tenait de côté comme une ressource suprême, furent dévorés. D'ailleurs, le quartier était en révolution ; on venait le contempler au milieu de ces richesses, perdant la tête, ne retrouvant pas ses habitudes. Il ne semblait plus chez lui, dans ce cadre luisant, sur ces fonds tendres, effaré avec sa grande barbe et ses cheveux. Maintenant, du trottoir d'en face, les passants s'étonnaient, à le regarder agiter les bras et sculpter ses manches. Et il était galopé de fièvre, il craignait de salir, il s'engouffrait davantage dans ce commerce luxueux, auquel il ne comprenait rien.

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