Ce furent d'abord deux mois de terrible gêne. Ne pouvant plus payer la pension de Pépé, elle l'avait repris et le couchait sur une vieille bergère prêtée par Bourras. Il lui fallait strictement trente sous chaque jour, le loyercompris, en consentant à vivre elle-même de pain sec pour donner un peu de viande à l'enfant. La première quinzaine encore, les choses marchèrent : elle était entrée avec dix francs en ménage, puis elle eut la chance de retrouver l'entrepreneuse de cravates, qui lui paya ses dix-huit francs trente. Mais, ensuite, son dénuement devint complet. Elle eut beau se présenter dans les magasins, à la Place Clichy, au Bon Marché, au Louvre : la morte-saison arrêtait partout les affaires, on la renvoyait à l'automne, plus de cinq mille employés de commerce, congédiés comme elle, battaient le pavé, sans place. Alors, elle tâcha de se procurer de petits travaux ; seulement, dans son ignorance de Paris, elle ne savait où frapper, acceptait des besognes ingrates, ne touchait même pas toujours son argent. Certains soirs, elle faisait dîner Pépé tout seul, d'une soupe, en lui disant qu'elle avait mangé dehors ; et elle se mettait au lit, la tête bourdonnante, nourrie par la fièvre qui lui brûlait les mains. Lorsque Jean tombait au milieu de cette pauvreté, il se traitait de scélérat, avec une telle violence de désespoir, qu'elle était obligée de mentir ; souvent, elle trouvait encore le moyen de lui glisser une pièce de quarante sous, pour lui prouver qu'elle avait des économies. Jamais elle ne pleurait devant ses enfants. Les dimanches où elle pouvait faire cuire un morceau de veau dans la cheminée, à genoux sur le carreau, l'étroite pièce retentissait d'une gaieté de gamins, insoucieux de l'existence. Puis, Jean retourné chez son patron, Pépé endormi, elle passait une nuit affreuse, dans l'angoisse du lendemain.