Dabadie. — Chef de gare au Havre. Bel homme, très brun, bien tenu, ayant les allures d’un grand commerçant tout à ses affaires. Se désintéresse volontiers de la gare des voyageurs, se consacrant surtout au mouvement des bassins, au transit énorme des marchandises, en continuelles relations avec le haut commerce du Havre et du monde entier. Veuf, père d’une grande fille toujours en pension, il serait au mieux, dit-on, avec mademoiselle Guichon, la buraliste [85]. (La Bête humaine.)
Daguenet (Paul). — Le greluchon de Nana. Son père, très estimé de Louis-Philippe, a occupé jusqu’à sa mort une préfecture. Un oncle, grand propriétaire, doit lui laisser sa fortune. Quant à lui, il est ruiné. Il a mangé en dix-huit mois trois cent mille francs avec les femmes et il bibelote à la Bourse pour leur payer encore des bouquets et des dîners de temps à autre [9]. Ses grands succès auprès de ces dames sont dus à la douceur de sa voix, une voix d’une pureté et d’une souplesse musicales, qui l’a fait surnommer chez les filles Bouche-de-Velours. Toutes cèdent, dans la caresse sonore dont il les enveloppe [361]. La dot d’Estelle Muffat le décide à faire une fin. Il se pousse dans la famille et, après s’être maladroitement brouillé avec Nana, se réconcilie pour qu’elle oblige le comte Muffat à l’accepter pour gendre. Comme courtage, il apporte à Nana, le jour de la cérémonie, 1’étrennede son innocence [451]. Devenu sérieux après le mariage, Daguenet obéit au vieux Théophile Venot et tremble devant Estelle qui s’est révélée femme énergique. Maintenant, il l’accompagne à la messe, converti, furieux contre son beau-père qui les, ruine pour Nana, redevenue à ses yeux une simple créature [476]. (Nana.)
Daguenet (Madame). — Voir MUFFAT DE BEUVILLE (Estelle).
Daigremont. — Spéculateur très connu, l’homme heureux de tous les syndicats [83]. Agé déjà de quarante-cinq ans, luttant contre l’embonpoint, il est de haute taille, très élégant avec sa coiffure soignée, ne portant que la moustache et la barbiche, en fanatique des Tuileries. Affecte une grande amabilité, d’une confiance absolue en lui, certain de vaincre. Habite rue La Rochefoucauld un des derniers grands hôtels du quartier. Il mène un train princier, aussi glorieux de son écurie de courses que de sa galerie de tableaux; il appartient à l’un des grands clubs, affiche les femmes les plus coûteuses, a loge à l’Opéra, chaise à l’hôtel Drouot et petit banc dans les lieux louches à la mode. Son luxe flambant dans une apothéose de caprice et d’art est uniquement payé par la spéculation [100]. On dît que Daigremont n’est pas très sûr, qu’il abandonne volontiers ses amis et qu’un engagement de lui n’est jamais définitif; on conte à son sujet des histoires extraordinaires, surtout celle de l’Hadamantine [109], mais comme il a l’appui d’une fortune colossale, toutes les affaires viennent s’offrir. C’est grâce à son concours qu’Aristide Saccard a pu fonder la Banque Universelle. Daigremont sait s’attribuer de grosses primes dans l’affaire [110], il marche longtemps avec Saccard, restant charmant, l’invitant à ses fêtes, signant tout sans observations, avec sa bonne grâce de Parisien sceptique qui trouve que tout va bien, tant qu’il gagne [273], mais il garde son indépendance absolue et, au jour précis du danger, malgré une promesse formelle, il abandonne brusquement la bataille [358], sans un geste pour sauver d’une défaite décisive la Banque Universelle. (L’Argent.)
Daigremont (Madame). — Femme du financier. Est célèbre par sa beauté; remporte dans le monde de vifs succès de cantatrice [100]. (L’Argent.)
Dalichamp. — Médecin à Rancourt, à six kilomètres de Remilly. Homme court, à la grosse tête ronde, dont le collier de barbe et les cheveux grisonnent; sou visage coloré s’est durci, pareil à ceux des paysans, dans sa continuelle vie au grand air, toujours en marche pour le soulagement de quelque souffrance; ses yeux vifs, son nez têtu, ses lèvres bonnes disent clairement son existence entière de brave homme charitable, un peu braque parfois, médecin sans génie, dont une longue pratique a fait un excellent guérisseur [484]. S’intéressant aux enfants des malheureuses qu’il accouche, il a placé la petite SilvineMorangechez lepère Fouchard, pour la sauver de la débauche de l’usine.
Dès le milieu d’août 1870, il a installé une ambulance dans la grande salle de la mairie de Raucourt. Le 30 août, derrière le 7e corps, en marche vers la Meuse sous la canonnade ennemie, le docteur a vu arriver les Bavarois, des hommes noirs, petits, l’air sale, avec de grosses têtes vilaines, coiffées de casques pareils à ceux de nos pompiers ; il en a vu des milliers et des milliers, arrivant de partout en colonnes serrées, le pays en a été noir tout de suite, ces hommes marchaient depuis trois jours et venaient de battre le 5e corps à Beaumont. Affamés, ils se sont jetés dans les maisons, dans les boutiques, avalant n’importe quoi, ce qui leur tombait sous la main. Chez Dalichamp, l’un d’eux, un gros, mange tout le savon; un autre boit goulûment un litrede sirop d’opium qui le tue [168].
Durant l’occupation, le docteur soigne Jean Macquart chez le père Fouchard. D’un courage et d’une bonté extraordinaires, il a un cœur ardent de patriote, qui déborde de colère et de chagrin à chaque défaite ; c’est par lui qu’HenrietteWeiss et Jean savent les nouvelles extérieures, les grandes batailles héroïques sous Metz [493], puis la trahison de Bazaine [506], et enfin le réveil de la province, les armées sorties du sol dans l’indomptable volonté de lutter jusqu’au dernier sou et jusqu’à la dernière goutte de sang [508]. (La Débâcle.)
Dambreville. — Employé de ministère. Pour avoir de l’avancement, a consenti à faire un mariage douteux [27]. (Pot-Bouille.)
Dambreville (Madame). — Ancienne pécheresse qu’un ami haut placé a mariée sur le tard avec un chef de bureau. Madame Dambreville habite avec son mari un quatrième de la rue de Rivoli, au coin de la rue de l’Oratoire. Très forte et encore belle à cinquante ans passés, elle fait des mariages, ayant conservé partout des relations utiles. Elle doit marier Léon Josserand, jeune homme ambitieux, qui est devenu son amant et qu’elle gardera le plus longtemps possible pour son usage personnel, se cramponnant à lui comme au dernier homme, dans la crise ardente du retour d’âge [418].(Pot-Bouille.)
Dambreville (Raymonde). — Nièce de Dambreville. Jeune créole de seize ans, très riche et d’une beauté éclatante, débarquée chez son oncle, après avoir perdu son père aux Antilles. Madame Dambreville, brûlée de jalousie devant cette fleur adorable de jeunesse, refuse d’abord de la donner à Léon Josserand [416], puis elle finit par consentir au mariage, à la condition que le jeune ménage s’installera chez elle. (Pot-Bouille.)
Dansaert. — Maître porion au Voreux. Un Belge à face épaisse, au gros nez sensuel [56]. Humble devant l’ingénieur Négrel, il est brutal avec les ouvriers. Tout le coron des Deux cent quarante sait qu’il est l’amant de la Pierronne et que Pierron, mari complaisant, le renseigne sur la marche de la grève [383]. Le jour de l’anéantissement du Voreux. fou de peur devant le cuvelage crevé, Dansaert finit par sauter dans une berline, laissant des hommes au fond [525]. Cette lâcheté, le scandale de ses amours avec la Pierronne, le désir aussi de faire une avance discrète aux mineurs, déterminent la Compagnie à le renvoyer [538]. (Germinal.)
Daste (Madame). — Femme du monde, vivant de galanterie. Petite, fêle malicieuse. Madame de Lauwerens lui trouve des amants dans le beau monde, où elle est cotée comme une valeur à la Bourse [239]. Amie des Saccard. (La Curée.)
Dauvergne. — Chef adjoint des grandes lignes à la gare Saint-Lazare. Habite avec ses enfants, Claire, Henri et Sophie, une maison de la Compagnie de l’Ouest, impasse d’Amsterdam [3]. (La Bête humaine.)
Dauvergne (Claire). — Sœur de Sophie. Ce sont deux blondes adorables, qui mènent le ménage avec les six mille francs du père et du frère, au milieu d’un continuel éclat de gaieté. Elles jouent du piano, rient et chantent, pendant qu’une cage, pleine d’oiseaux des îles, rivalise de roulades. Claire a dix-huit ans [3]. (La Bête humaine.)
Dauvergne (Henri). — Conducteur chef à la Compagnie de l’Ouest. Une trentaine d’années. Il aime Séverine Roubaud, a surpris sa liaison avec Jacques et se dit que son tour viendra peut-être [290]. Blessé dans la catastrophe de la Croix-de-Maufras, transporté chez la jeune femme et soigné par elle, il lui a voué une grande tendresse, sans obtenir autre chose qu’une promesse vague [358]. Dans une hallucination de malade, il a cru entendre, devant sa fenêtre, Roubaud se concertant avec Cabuche pour l’assassinat de Séverine; son témoignage erroné est une des charges capitales de l’accusation. (La Bête humaine.)
Dauvergne (Sophie). — L’aînée des deux sœurs. Elle a vingt ans. (La Bête humaine.)
Davoine. — Successeur des Chanteau, dans le commerce des bois du Nord, à Caen. A fait l’achat du fonds pour cent mille francs, dont il n’a versé que la moitié. Chanteau laisse cinquante mille francs pour devenir associé et partager les bénéfices [22]. Homme d’une intelligence hardie, Davoine a inspiré confiance à madame Chanteau, mais les affaires vont mal, il tente des spéculations malheureuses, les hausses attendues sur les sapins ne se produisent pas, les inventaires deviennent chaque année plus désastreux. Finalement, il tombe en faillite et les Chanteau sauvent péniblement de la débâcle une douzaine de mille francs [98]. (La Joie de vivre.)
Deberle (Henri). — Docteur en médecine. Mari de Juliette Letellier. Père de Lucien. Trente-cinq ans, figure rasée un peu longue, œil fin, lèvres minces [13]. Riche et déjà célèbre. Son père, que tout Passy vénérait, lui a laissé un million et demi et une clientèle superbe. Il est propriétaire de l’hôtel qu’il habite rue Vineuse et de la maison voisine, dont madame Grandjean est locataire; l’abbé Jouve le cite comme un homme d’un caractère droit, d’un cœur charitable, très bon père et très bon mari, donnant les meilleurs exemples [33]. Marié à une Parisienne évaporée, le docteur Deberle est séduit par la sculpturale beauté d’Hélène Grandjean. C’est une crise d’amour qui naît dès la première rencontre au chevet de Jeanne, s’accroît lors des visites charitables chez la mère Fétu et se développe dans le contact quotidien ; c’est un coup de désir irrésistible qui entraîne vers lui madame Grandjean et la lui livre enfin, consentante, dans la chambre même que Matignon avait préparée pour y abriter ses propres amours avec madame Deberle. La terrible crise de jalousie de la petite Jeanne, son agonie, sa mort, séparent à jamais les amants d’un jour. Deberle, resté bon mari, va oublier ce drame en Italie avec sa femme, qui lui donne bientôt un second enfant, une petite fille rose et grasse [399]. (Une Page d’Amour.)
Deberle (Madame Juliette, née Letellier). — Femme du docteur Deberle. Mère de Lucien. Sœur de Pauline Letellier.
Petite, potelée, cheveux d’un noir d’encre et peau d’une blancheur de lait, avec un front étroit de jolie femme. Elle est gracieuse et se plaît aux caquetages sans fin, parlant toujours sans écouter. D’une futilité toute mondaine, elle a des sautes brusques de tendresse avec un perpétuel besoin d’agitation. En coquetterie continuelle avec le beau Matignon, poussée peu à peu par la curiosité, la tête vide et le cœur libre, elle glisse rapidement à un adultère médiocre et sans conviction. Au moment où elle va céder, l’intervention d’Hélène la sauve et elle sort de la stupide aventure, guérie, riant d’aise, sentant bien qu’elle n’est pas faite le moins du monde pour ces machines-là [342]. (Une Page d’Amour.)
Deberle (Lucien). — Fils du docteur Deberle. Sept ans, gros et court, yeux bleus, lèvres fortes, le cou dans les épaules, mis avec une coquetterie de poupée [27]. Ami de Jeanne Grandjean, qu’il considère comme sa petite femme; songe dès qu’elle est morte à la remplacer par Marguerite Tissot [380]. (Une Page d’Amour.)
Docker (Baronne). — Le marquis de Chouard passe parfois plusieurs jours chez elle, à Viroflay [91]. (Nana.)
Dédèle. — Une masse de vingt livres. Pèse une demi-livre de moins que Fifine. Ce sont deux outils de l’atelier de Goujet [213]. (L’Assommoir.)
Dejoie. — Garçon de bureau au journal l’Espérance. Après son service militaire, a été en place chez Durieu, mari de madame Caroline, puis chez Lamberthier, enfin chez Blaisot, un banquier qui a sauté. La mauvaise chance de sa vie est d’avoir épousé une cuisinière sans jamais réussir à se placer dans les mêmes maisons qu’elle. Dejoie a été la véritable mère de sa fille Nathalie, l’élevant, la surveillant avec des soins infinis, le cœur débordant d’une adoration grandissante [135]. A cinquante ans, il est veuf et sans place, possédant pour tout bien une somme de quatre mille francs, économies de sa femme, qui doivent fructifier pour former les six mille francs nécessaires à la dot de Nathalie.
Grand et sec, borné mais très droit, très bon, rompu à la discipline militaire, Dejoie est recommandé par madame Caroline à Saccard, qui le fait entrer comme garçon de bureau à l’Espérance, journal catholique racheté par la Banque Universelle. Le brave homme a placé son argent dans celte affaire, il est dès lors mordu d’un âpre désir de gain et ne vit bientôt que pour l’émotion joyeuse de voir monter ses actions, écoutant aux portes, recueillant les moindres mots de Saccard comme des paroles d’oracle [199]. II n’a d’abord songé qu’au bonheur de sa fille, mais devant la hausse continue des titres, devant son petit capital doublé, il rêve de constituer pour lui-même une modeste rente [262]; son chiffre atteint, il garde encore les actions pour devenir plus riche, il vit dans un rêve doré; puis, en une terrible tempête de Bourse, la Banque s’effondre, il est ruiné. C’est tout à coup la noire misère, un écrasement total, achevé par le brusque abandon de Nathalie partie sans même dire adieu. Mais dans celte intime détresse, Dejoie garde encore sa foi ardente en Saccard; il se persuade que tout serait sauvé si celui-ci pouvait sortir de prison [385]. (L’Argent.)
Dejoie (Joséphine). — Femme de Dejoie. L’a connu lorsqu’elle était cuisinière chez madame Lévêque, belle-sœur du brasseur Durieu. Joséphine est entrée ensuite chez le docteur Renaudin, puis au magasin des Trois-Frères, rue Rambuteau. Pas une seule lois, les deux époux n’ont pu se placer ensemble, ils n’ont jamais eu une charnière à tous les deux, se voyant chez les marchands de vin, s’embrassant derrière les portes des cuisines. Joséphine meurt quand sa fille a quatorze ans [135]. (L’Argent.)
Dejoie (Nathalie). — Fille des Dejoie. C’est une fleur blonde du pavé parisien, de grâce chétive, avec de larges yeux sous les petits frisons de ses cheveux pâles. Elle a un regard tranquille et froid, d’une extraordinaire limpidité d’égoïsme. L’enfant s’est laissé adorer par son père, en idole heureuse, sage encore à dix-huit ans parce qu’elle n’a eu aucun intérêt à ne pas l’être [135], incapable d’une chute sotte tant qu’elle a espéré une dot, un mariage, un comptoir dans une petite boutique où elle trônerait. Nathalie doit épouser le fils d’un cartonnier, Théodore, lorsque le jeu de Bourse aura complété la petite dot qu’on exige. Comme son père. elle se passionne pour la spéculation, elle caquette ainsi qu’une pie vaniteuse, empêchant Dejoie de vendre quand il en serait temps, rêvant des rentes [297]. Après la débâcle, furieuse de son mariage manqué, ne voulant pas continuer une existence de sans-le-sou, elle prend froidement ses bottines et son chapeau et, sans rien dire, file avec un monsieur d’en face, un monsieur très bien, dont elle a fait là connaissance [384]. (L’Argent.)
Delaherche (Madame). — Mère de Jules Delaherche. Son mari était de mœurs gaillardes et l’a rendue très malheureuse. Aussi, devenue veuve, tremblant de voir son fils recommencer les mêmes farces, s’est-elle efforcée de lui imposer une tutelle. Elle l’a marié avec une dévote et a dirigé le ménage, puis la femme est morte. A cinquante ans, Delaherche, sevré de jeunesse, a voulu épouser une veuve légère et gaie, de réputation douteuse; c’est en vain que madame Delaherche a prodigué les remontrances [181]. Maintenant, elle ne vit plus que comme un blâme muet, elle se tient enfermée dans sa chambre. Toujours debout à l’aube, malgré ses soixante-dix-huit ans, toute blanche, d’une grande rigidité de dévotion, elle a un nez qui s’est aminci et une bouche qui ne rit plus, dans une longue face maigre [183].
Les malheurs de la guerre la frappent cruellement; elle est déjà d’un autre âge, de cette vieille et rude bourgeoisie des frontières, si ardente autrefois à défendre ses villes [385]. La grande douleur de la défaite domine ses chagrins domestiques. Suffoquée par l’adultère de sa belle-fille avec le capitaine Beaudoin, elle a décidé de tout dire à son fils, mais le lendemain, devant Beaudoin rapporté mourant à l’ambulance, elle se tait; à quoi bon désoler la maison, puisque la mort emporte la faute [346]. Plus tard, écrasée sous la honte de croire la jeune femme maîtresse d’un officier ennemi [560], elle trouve un soulagement à la surprendre aux bras du jeune Edmond Lagarde; cette fois encore, elle ne parlera pas; elle aura même un faible sourire devant l’échec du Prussien, elle qui ne s’est pas égayée depuis la bonne nouvelle de Coulmiers [563]. Dès le lendemain de l’occupation, elle s’est consacrée à son vieil ami blessé, le colonel de Vineuil;avec lui, elle pleure la patrie agonisante. Devant le désespoir de ce soldat trop affaibli pour détruire son épée, c’est elle qui la brise d’un coup sec, sur son genou, avec une force extraordinaire, dont elle-même n’aurait pas cru capables ses pauvres mains [400]. Et elle reste enfermée chez le colonel, voulant vivre cloîtrée avec lui, tant que les Prussiens logeront dans la maison [544]. (La Débâcle.)
Delaherche (Jules). — Mari de Gilberte de Vineuil, en premières noces madame Maginot. Un des principaux fabricants de drap de Sedan. Possède rue Maqua, presque au coin de la rue au Beurre, une fabrique monumentale construite au XVIIIe siècle et qui, depuis cent soixante ans, n’est point sortie de la famille. Trois générations de Delaherche ont fait là des fortunes considérables. Le père du propriétaire actuel, ayant hérité des biens d’un cousin, mort sans enfant, c’est maintenant la branche cadette qui trône. Jules, marié à une femme maussade et maigre, a été tenu par sa mère dans une dépendance de grand garçon sage. Puis, devenu veuf à l’âge mûr, il s’est, par une révolte de la nature, amouraché d’une jeune veuve de Charleville, la jolie Gilberte Maginot et l’a épousée, dans l’automne de 1869, malgré l’opposition maternelle. Gilberte est la nièce du colonel de Vineuil, en passe de devenir général, et cette parenté, cette idée qu’il entrait dans une famille militaire, a beaucoup flatté le fabricant de drap [181].
Gros et grand, le teint coloré, le nez fort, les lèvres épaisses, Delaherche est de tempérament expansif; il a la curiosité gaie du bourgeois français qui aime les beaux défilés de troupes; à la ferme de Baybel, pendant qu’on se battait à Beaumont, il a vu l’empereur souffrant de la dysenterie, affaissé sur un pliant, ayant l’air d’un petit rentier qui chauffe ses douleurs au soleil [185]. L’empereur a failli lui parler, il en est fier. Bonapartiste ardent au moment du plébiscite, s’il consent à avouer depuis les premières défaites qu’on a commis des fautes, il plaint surtout Napoléon III et attribue nos désastres aux députés républicains de l’opposition, qui ont entravé l’organisation militaire [186].
Deux jours après, le ler septembre, sur la route de Balan, il croise l’empereur à cheval, allant à son destin, d’une allure silencieuse et morne, et cherchant inutilement la mort [221]. Dès ce moment, Delaherche a pressenti le désastre qui menace Sedan; il commence à trembler pour sa fabrique [271]. Armé d’une forte longue-vue, il a, du haut de sa terrasse, remarqué sur les coteaux de la Marfée, le roi Guillaume, l’air sec et mince, à l’uniforme sans éclat, à peine haut comme la moitié du doigt, un de ces minuscules soldats de plomb des jouets d’enfant, et cet infiniment petit, dont la face, grosse comme une lentille, ne mettait qu’un point blême sous le vaste ciel bleu, constatait la marche mathématique, inexorable de ses armées, refermant pas à pas, autour de Sedan, leur muraille d’hommes et de canons [274].
Delaherche éprouve une joie involontaire devant l’ordre de hisser le drapeau blanc sur la citadelle, ce plaisir lui parait d’abord antipatriotique, puis la peur l’emporte, il s’exaspère bientôt devant le feu qui redouble [342]. Sa ferveur bonapartiste s’est refroidie singulièrement ; dans un coin de la sous-préfecture, il assiste sans trouble à l’agonie de l’empereur, frappé au cœur par celte bataille qu’on ne peut arrêter, défaillant dans le tonnerre continu de la canonnade, atterré devant toutes ces vies humaines fauchées par sa faute [349]. Le fabricant rayonne enfin, car la capitulation est chose faite, il reprend son aplomb de riche industriel, sa bonhomie de patron aimant la popularité, sévère seulement à l’insuccès; l’empereur l’a bien trompé. Et pendant que Napoléon III traîne sa misère sur la route de Donchery, dans une pauvre maison de tisserands, où Bismarck l’amuse pour retarder son entrevue avec le roi de Prusse, Delaherche ne plaint même plus celui qui va devenir l’homme de Sedan, il le charge de toutes les iniquités [402].
Plus tard, les amertumes de l’occupation sont heureusement adoucies pour le mari de Gilberte, grâce à un capitaine de la landwehr, M. de Gartlauben, qui loge chez lui et finit par devenir un ami véritable. Ce sont des soirées charmantes, où Delaherche traite Gambetta de fou furieux. Il veut ardemment la paix.; comme toute l’ancienne bourgeoisie plébiscitaire et conservatrice, il éprouve une sourde rancune contre Paris qui s’entête dans sa résistance ; M. Thiers est devenu son homme [560]. (La Débâcle.)
Delaherche (Madame Jules). — Voir VINEUIL (Gilberte de).
Delangre. — Maire de Plassans. Petit, épaules carrées, masque fouillé, tournant au polichinelle; parle trop, avec toute une fièvre de restes et de paroles [47]. Très souple, très capable, très actif. Fils de maçon, arrivé au rang d’avocat, est devenu l’amant de madame Rastoil qui l’a tiré de la misère. Marié plus lard, trompé pur sa femme, il l’a surprise trois fois en flagrant délit; pour consentir à la reprendre, on assure qu’il s’est fait donner chaque fois cent mille francs par son beau-père. L’abbé Faujas lu fait parvenir à la députation, sûr que ce gaillard sera très utile à Paris pour certaines besognes [322]. (La Conquête de Plassans.)
Delangre (Madame). — Femme du maire de Plassans. Petite personne pâle, d’une douceur de servante, dont les débor-dements sont restés légendaires [107]. Sa fille est, dit-on, d’un peintre que tout Plassans connaît [75]. Madame Delangre devient l’une des premières dames patronnesses de l’Œuvre de la Vierge [111]. (La Conquête de Plassans.)
Delangre (Lucien). — Fils du maire de Plassans. Petit de taille, œil vif, tête futée, il appartient au barreau et, dès l’âge de vingt-quatre ans, plaide avec l’aplomb d’un vieux praticien [l72]. L’abbé Faujas, pour qui il éprouve une admiration de disciple [176], l’a placé à la tête du Cercle de la Jeunesse. Il se mariera avec l’aînée des Rastoil,Angéline, qui pourrait bien être sa sœur, car elle est née au temps des amours de madame Rastoil avec l’avocat Delangre [325]. (La Conquête de Plassans,)
Delarocque. — Agent de change. Un chrétien qui a épousé une juive, la sœur de son collègue Jacoby, et qui la rend malheureuse [122]. C’est un gros homme roux et trapu, très chauve, à la voix gutturale, lancé dans le monde des cercles. Daigremont, successivement fâché avec Mazaud et Jacoby, lui donne ses ordres [337]. Delarocque précipite la ruine de la Banque Universelle en prévenant Daigremont du coup que prépare Gundermann [358]. (L’Argent.)
Delcambre. — Procureur général, plus tard ministre de la justice. Grand homme jaune, glacial et osseux, à la haute taille solennelle, à la face rase, coupée de plis profonds, d’une austère sévérité. Sonnez dur, en bec d’aigle, semble sans défaillante comme sans pardon. Mais, derrière le masque professionnel, il y a en lui un furieux mâle aux appétits d’ogre. Amant de la baronne Sandorff, il a loué, pour la posséder à son aise, un petit rez-de-chaussée de la rue Caumartin, près de la rue Saint-Nicolas, et il fournit à cette femme les fonds que lui refuse un mari avare. Peu généreux d’ailleurs, il ne donne pas assez à la baronne pour payer ses différences de Bourse, il est trompé au profit d’Aristide Saccard, surprend les amants grâce à la trahison d’une femme de chambre, et c’est, entre Saccard et lui, une querelle de charretiers ivres, des mots abominables qu’ils se lancent comme des crachats, avec un besoin croissant de l’ordure [233]. Devenu ministre, Delcambre fera lourdement sentir sa rancune à Saccard, surpris en marge du code, dans la débâcle de la Banque Universelle [377]. (L’Argent.)
Delestang. — Fils d’un marchand de vin de Bercy qui lui a laissé cinq millions. Ancien avoué, conseiller d’Etat, propriétaire d’une ferme modèle près de Sainte-Menehould. Habite rue du Colisée un hôtel fort élégant [32]. Il a une tête magnifique, très chauve. Sa face rosée, un peu carrée, sans un poil de barbe, rappelle ces faces corrodes et pensives que les peintres d’imagination aiment à prêter aux grands hommes politiques [30]. Au point de vue de l’intelligence, Du Poizat assure qu’il a trop fréquenté les bêtes [165].
Eugène Rougon, qui a sauvé l’avenir politique de cet imbécile à l’heure du coup d’Etat, lui fait épouser Clorinde Balbi. Delestang devient un mari passionné, plein de confiance et de fatuité [174]; il se laisse guider dans ses moindres actions par sa femme, obtient grâce à elle le portefeuille de l’agriculture et du commerce et finit par remplacer Rougon au ministère de l’intérieur, symbolisant ainsi l’apothéose de la médiocrité [432]. (Son Excellence Eugène Rougon. )
Delestang (Madame). — Voir CLORINDE.
Delestang (Henriette). — Sœur du ministre Delestang. Mariée à M. de Combelot, chambellan de Napoléon III. Elle a une grande passion pour l’empereur et s’offre inutilement. Clorinde prétend qu’elle est trop maigre [186]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Deleuze aîné. — A fondé avec son frère, en 1822, le Bonheur des Dames, magasin de nouveautés, situé carrefour Gaillon, au coin de la rue Neuve-Saint-Augustin et de la rue de la Michodière. Les Deleuze sont apparentés à plusieurs commerçants du quartier [21]. A la mort de Deleuze aîné, sa fille unique, Caroline, devenue madame Hédouin, hérite de lui et devient copropriétaire du magasin. (Pot-Bouille.)
Les débuts du Bonheur des Dames ont été modestes. En 1822, la boutique avait seulement une vitrine sur la rue Neuve-Saint-Augustin, un vrai placard, où deux pièces d’indienne s’étouffaient avec trois pièces de calicot; on ne pouvait se retourner tant c’était petit. A cette époque, le Vieil Elbeuf, fondé par le drapier Aristide Finet, était la maison la plus forte, la plus richement achalandée du quartier [30]. (Au Bonheur des Dames.)
Deleuze (Oncle). — L’un des fondateurs du Bonheur des Dames. Après la mort de Deleuze aîné, il continue le commerce avec sa nièce Caroline, mariée à Charles Hédouin. Mais bientôt, cloué dans un fauteuil par ses rhumatismes, il ne s’occupe plus de rien et laisse aux Hédouin la direction de l’affaire [17]. (Pot-Bouille.)
Madame Hédouin, devenue veuve, a épousé Octave Mouret. Trois mois après, l’oncle meurt sans enfant, laissant toute sa pari à Caroline [25]. (Au Bonheur des Dames.)
Deleuze (Caroline) (l). — Fille de Deleuze aîné. Mariée au commis Charles Hédouin. Dirige e Bonheur des Dames, créé par son père et son oncle. Grande, brune, admirablement belle avec son visage régulier et ses bandeaux unis, gravement souriante, madame Hédouin semble l’âme vive et équilibrée de la maison. Cette femme superbe, à la santé vaillante, à la beauté calme, est une ancienne amie de pension de Clotilde Vabre; elle fréquente les Duveyrier et regarde l’inconduite de Valérie, leur belle-sœur, avec l’étonnement d’une femme dont l’honneur est la santé même [191]. Octave Mouret, entré au Bonheur des Dames par l’entremise de Campardon, a tenté en vain une séduction vulgaire. Madame Hédouin l’a repoussé simplement, sans indignation, ne lui opposant que de tranquilles arguments de femme pratique, décidée à ne pas compliquer sottement sa vie. Mais, indifférente aux séductions du beau vendeur, elle a peu à peu conçu pour lui une véritable estime ; gagnée à ses idées larges, à ses rêves de grands comptoirs modernes, elle a retrouvé en Octave sa propre volonté, le fond sérieux et pratique de son caractère, avec une flamme, une audace qui lui manquent à elle, la fantaisie dans le commerce, la seule fantaisie qui l’ait jamais troublée [436]. Devenue veuve, elle lui offre paisiblement sa main, dans une paix souriante, sans la moindre allusion à une tendresse possible, disant seulement que les choses raisonnables arrivent toutes seules et ne voyant en Mouret qu’un collaborateur nécessaire. (Pot-Bouille.)
Son second mari l’a décidée à agrandir le magasin; elle a acheté l’immeuble de gauche, puis celui de droite. Un matin, en visitant les travaux, elle tombe dans un trou et meurt trois jours après. Les petits boutiquiers voisins, jaloux de Mouret, disent qu’il y a du sang de madame Hédouin sous les pierres de la maison [24]. Mais ces malveillants propos n’empêchent pas Octave de conserver à la morte un souvenir attendri ; il se montre reconnaissant à sa mémoire de la fortune dont elle l’a comblé en l’épousant. Désormais, un grand portrait de Caroline sera le seul ornement du cabinet directorial et présidera, de son air souriant et bon, aux prodigieux développements de la maison fondée par les Deleuze [37]. (A u Bonheur des Dames.)
(l) Madame Hédouin, mariée en 1865 a Octave Mouret. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Delhomme. — Mari de Fanny. Gendre du père Fouan. Beau-frère de Jésus-Christ et de Buteau. A trente-neuf ans, il est rose et placide, il a une large face de terre cuite rasée soigneusement, trouée de deux gros yeux bleu faïence, d’une fixité de bœuf au repos. Se laisse conduire en toutes choses par sa femme, est d’esprit borné, mais si calme, si droit, que souvent, à Rognes, on le prend pour arbitre. Avec ses vingt hectares de biens, ses dix arpents de vignes, il est le plus riche du pays. D’abord conseiller municipal, il finit par devenir maire. En politique, il a une seule idée, celle que le gouvernement soit solide pour faire aller les affaires; afin de ne pas se tromper, le mieux à son avis est d’envoyer à l’empereur le député qu’il demande [369]. Delhomme voit d’un bon œil son fils Nénesse devenir tenancier d’une maison publique, métier qui rapporte gros. (La Terre.)
Delhomme (Madame), née Fanny Fouan. — Elle a été épousée par un amoureux honnête et riche, sans môme être enceinte [15], chose peu commune à Rognes. Fanny est très brune, elle a des mains sèches de travailleuse, des yeux vifs, une figure agréable gâtée par un grand nez. Chez elle, l’intelligence du père s’est tournée en orgueil. C’est une gaillarde active, qui gouverne sa maison et son mari. Elle s’est créé un intérieur net et froid, d’une propreté méticuleuse, où le carreau est usé à force de lavages. Fanny est d’une susceptibilité outrée, elle a une vanité méfiante de paysanne honnête qui se blesse et boude au moindre mot mal compris. Elle a recueilli son père, le vieux Fouan, mais ne tolère aucun de ses défauts et dit que quatre vaches seraient plus faciles à conduire [293]. Elle en arrive à une véritable persécution, des paroles cruelles sont échangées, Fouan s’en va, Fanny jure de ne plus lui adresser la parole et, lorsqu’il meurt, elle ne désarme pas ; la blessure de son amour-propre saigne toujours, au point qu’elle demeure l’œil sec devant le cadavre. Sourdement envieuse et de nature peu sociable, elle s’est fâchée avec tout le pays. Lorsque son mari devient maire, elle est gonflée d’un tel orgueil qu’elle en claque dans sa peau [504]. (La Terre.)
Delhomme (Ernest), dit Nénesse. — Fils des Delhomme. A onze ans, blond, mince et fainéant, il a toujours un miroir au fond de sa poche [50]. Jeune homme, tourmenté d’un besoin d’élégance citadine, fier de savoir jouer du piston, il se met comme un garçon de la ville, il se dandine d’un air louche de fille, avec son cou long, sa nuque rasée, ses yeux bleus, sa face molle et jolie. Nénesse a toujours eu l’horreur de la terre, il part pour Chartres où il va servir chez un restaurateur qui tient un bal public [293]. Ses parents l’ayant assuré contre la conscription, il ne sera pas soldat; il tire d’ailleurs un bon numéro, le 214, ce qui donne à sa mère le profond regret des mille francs versés à l’assurance. A vingt et un ans, c’est déjà un petit bourgeois. Habillé par un tailleur de la ville, il vient faire le faraud à Rognes et plaisante les complets de Lambourdieu, dont il était tier autrefois. Plein de la volonté de parvenir, il a imaginé de reprendre l’ancienne maison de tolérance de sa grand’tante Badeuil, ce qui, dit-il, vaut mieux que. de cultiver la terre et permet d’être un monsieur tout de suite [461]. Il s’entend avec les Charles, épousera leur petite-fille, Elodie Vaucogne, et tiendra le 19 avec elle [488]. (La Terre.)
Deloche père. — Petit huissier nécessiteux, établi à Briquebec. D’une jalousie maladive, il rossait son. fils en le traitant de bâtard, exaspéré de sa longue ligure pâle et de ses cheveux de chanvre, qui, disait-il, n’étaient pas de la famille [179]. (Au Bonheur des Dames.)
Deloche (Henri). — N’a jamais eu de chance; chez lui, on le battait; à Paris, il a toujours été un souffre-douleur. C’est un grand- garçon blême et dégingandé. Après avoir débuté chez Crèvecœur, marchand de dentelles, il a été accepté comme vendeur au Bonheur des Dames, le jour même où Denise Baudu y entrait. Un lien s’est créé entre eux par la fraternité de leur situation, par leur naissance en un même coin de Normandie, et la sympathie d’Henri Deloche s’est vite transformée en un amour silencieux et résigné, auquel Denise n’a pu répondre que par une amitié loyale. Les meilleures intentions du jeune homme le trahissent; en défendant Denise contre les abominations de Favier, il crée une légende contre elle; par ses conversations mélancoliques dans les coins, il achève de la compromettre. Et le ridicule le poursuit partout; au réfectoire, on se moque de son appétit excessif; au rayon, il reste un vendeur déprécié, éternellement vaincu dans la lutte. Une cliente, madame de Boves, soustrait des dentelles, et c’est à lui qu’elle s’est adressée, devinant sa timidité et son manque de flair. Malgré Denise qui voudrait le sauver, il accepte le renvoi, s’obstinant dans sa malchance, tenant à disparaître .devant le bonheur de celle qu’il aime toujours, ne voulant pas gêner les gens heureux [519]. (Au Bonheur des Dames.)
Delorme. — Parent des Quenu. A l’instigation de madame Chanteau, est désigné comme membre du conseil de famille de Pauline Quenu [26]. Il consent à l’émancipation [47]. (La Soie de vivre.)
Deneulin. — Cousin des Grégoire. Comme eux, il a eu en héritage un denier des mines de Montsou; mais, tandis que les Grégoire grignotaient tranquillement leurs rentes, lui, ingénieur audacieux, tourmenté du besoin d’une royale fortune, s’est bâté de vendre lorsque la valeur du dénier a atteint le million. Sa femme tenait d’un oncle la petite concession des mines de Vandame, avec deux fosses, Jean-Bart et Gaston-Marie. Il entreprend l’exploitation de cette affaire qui doit donner de l’or, mais qui commence par engloutir le million, et, à l’heure où de gros bénéfices devraient se produire, il est sans ressources, devant une crise industrielle qui menace de tout emporter.
Bien qu’il ait dépassé la cinquantaine, ses cheveux coupés ras et ses grosses moustaches sont d’un noir d’encre ; il a le verbe haut, le geste vif, avec une allure d’ancien officier de cavalerie. Mauvais administrateur, d’une bonté brusque avec ses ouvriers, il se laisse piller depuis la mort de sa femme, lâchant aussi la bride à ses filles. Une vieille haine existe entre la concession de Montsou et celle de Vandame; malgré la faible importance de cette dernière, sa puissante voisine enrage de voir, enclavée dans ses soixante-sept communes, celte lieue carrée qui ne lui appartient pas; après avoir essayé vainement de la tuer, elle complote de l’acheter à bas prix, lorsqu’elle râlera. Mais Deneulin, déclare que, lui vivant, Montsou n’aura pas Vandame; il déteste les gros bonnets de la compagnie, ces marquis et ces ducs, ces généraux et ces ministres, des brigands qui vous enlèveraient jusqu’à votre chemise, à la corne d’un bois [90]. Lui ne trône pas au loin, dans un tabernacle ignoré; il n’est pas de ces actionnaires qui payent un gérant pour tondre te mineur, et que celui-ci n’a jamais vus; il est un patron, il risque autre chose que son argent, il risque son intelligence, sa santé, sa vie [336].
Mais quand la grève éclate, il a beau tenir tête aux révoltés [409], combattre l’émeute en autoritaire courageux, c’est lui qui paye les frais de la guerre. Acculé à la ruine, égorgé par les régisseurs de Montsou, il subit la puissance invincible des gros capitaux, si forts dans la bataille qu’ils s’engraissent de la défaite en mangeant les cadavres des petits, tombés à leur côté [429]. C’est à peine s’il tire de la cession de Vandame l’argent nécessaire pour payer ses créanciers et il s’estime heureux d’être gardé, sous les ordres d’Hennebeau, à titre d’ingénieur divisionnaire, se résignant ainsi à surveiller, en simple salarié, ces deux fosses où il a englouti sa fortune. C’est le glas des petites entreprises personnelles, la disparition prochaine des patrons, mangés un à un par l’ogre sans cesse affamé du capital, noyés dans le flot montant des grandes compagnies [505]. (Germinal.)
Deneulin (Jeanne). — La seconde fille de Deneulin. Dix-neuf ans à peine, petite, cheveux dorés, d’une grâce caressante [330]. Ayant perdu leur mère très jeunes, les deux sœurs se sont élevées toutes seules, assez mal, gâtées par leur père. Jeanne est folle de peinture, d’une hardiesse de goût qui la singularise ; elle s’est déjà fait refuser trois paysages au Salon. Avec sa sœur, elle reste rieuse dans la débâcle; la misère menaçante révèle chez ces jeunes filles de très fines ménagères [88]. (Germinal.)
Deneulin (Lucie). — La fille aînée de Deneulin. Vingt-deux ans, grande, brune, l’air superbe [330]. Elle cultive sa voix au piano, du matin au soir, et parle d’entrer au théâtre [88]. Les deux sœurs accueillent la ruine sans chagrin, en jolies filles garçonnières, dédaigneuses de l’argent [505]. (Germinal.)
Denizet. — Juge d’instruction à Rouen. C’est le fils d’un gros éleveur de Normandie ; il a fait son droit à Caen, est entré assez tard dans la magistrature et n’a obtenu qu’un avancement difficile, grâce à son origine paysanne, aggravée par une faillite paternelle. Substitut à Bernay, à Dieppe, au Havre, il a mis dix ans pour devenir procureur impérial à Pont-Audemer. Envoyé à Rouen comme substitut, il y est juge d’instruction depuis dix-huit mois, à cinquante ans passés. C’est un homme petit et assez fort, entièrement rasé, grisonnant déjà; les joues épaisses, le menton carré, le nez large, ont une immobilité blême, qu’augmentent encore les paupières lourdes, retombant à demi sur de gros yeux clairs; mais toute la sagacité, toute l’adresse qu’il croit avoir, s’est réfugiée dans la bouche, une de ces bouches de comédien jouant leurs sentiments a la ville, d’une mobilité extrême, et qui s’amincit, dans les minutes où il devient très fin; la finesse le perd le plus souvent, il est trop perspicace, il ruse trop avec la vérité simple et bonne, d’après un idéal de métier, s’étant fait de sa fonction un type d’anatomiste moral, doué de seconde vue, extrêmement spirituel [109].
Sans fortune, ravagé de besoins que ne peuvent contenter ses maigres appointements, il vit dans cette dépendance de la magistrature mat payée, acceptée seulement des médiocres, et où les intelligents se dévorent, en attendant de se vendre. Lui, loin d’être un sot, est d’une intelligence très vive, très déliée, honnête même, ayant l’amour de son métier, grisé de sa toute-puissance, qui le fait, dans son cabinet de juge, maître absolu de la liberté des autres [100]. Son intérêt seul corrige sa passion et, comme il a un cuisant désir d’être décoré et de passer à Paris, il ne se laisse emporter par l’amour de la vérité que dans les affaires où son avenir n’est pas en jeu. Chargé de découvrir les assassins du président Grandmorin, il sait faire aux nécessités gouvernementales le sacrifice de l’idée de justice et il classe l’affaire, sur le désir exprimé par le ministère, dans la personne du secrétaire général Camy-Lamotte; sa complaisance sera récompensée par la croix au 15 août et une nomination de conseiller à Paris, dès le premier poste vacant [150]. Plus tard, après l’assassinat de Séverine Aubry, qui remet en question l’affaire Grandmorin, on lui permet de déployer enfin toutes ses hautes qualités de perspicacité et d’énergie; par un chef-d’œuvre de fine logique, il parvient à prouver lumineusement la complicité de Cabuche et de Roubaud, complicité qui, d’ailleurs, n’a jamais existé et dont la démonstration entraîne une double erreur judiciaire [405]. (La Bête humaine.)
Dequersonnière. — Le professeur de Débuche. Un ancien grand prix, aujourd’hui architecte des bâtiments civils, officier de la Légion d’honneur, membre de l’Institut. Son chef-d’œuvre est l’église Saint-Mathieu, qui tient du moule à pâté et de la pendule Empire [56]. L’atelier Dequersonniére est situé rue du Four, au fond d’un vieux logis lézardé [67]. (L’Œuvre.)
Desbazeilles. — La gloire littéraire de la Cour de Rouen, où il est conseillera on cite ses sonnets finement tournés. C’est un célibataire, un bon ami de madame Bonnehon, aux temps anciens. Pendant des années, il a eu sa chambre au château de Doinville; maintenant, bien qu’il ait dépassé la soixantaine, il y vient dîner toujours, en vieux camarade, auquel ses rhumatismes ne permettent plus que le souvenir [114]. Lors du procès Roubaud, c’est lui qui préside la Cour d’assises [400]. (La Bête humaine.)
Desforges. — Un homme de Bourse. L’intimité de sa jeune femme avec le grand financier Hartmann a été fort utile au ménage. Desforges meurt, laissant une fortune niée par les uns, exagérée par les autres [71]. (Au Bonheur des Dames.)
Desforges (Madame Henriette). — Fille d’un conseiller d’Etat. A été mariée à un homme de Bourse, qui utilisait la précieuse amitié du financier Hartmann. Henriette a été reconnaissante au baron, du vivant même de Desforges et, lorsqu’elle est devenue veuve, la liaison a continué mais toujours discrètement, sans une imprudence, sans un éclat. Jamais madame Desforges ne s’affiche, on la reçoit partout dans la haute bourgeoisie où elle est née. Même lorsque la passion du banquier ne lui suffit plus, et que le baron se borne paternellement à commanditer ses amis, elle apporte dans ses coups de cœur une mesure et un tact si délicats, une science du monde si adroitement appliquée, que les apparences restent sauves et que personne ne se permettrait de mettre tout haut son honnêteté en doute.
C’est une brune un peu forte, avec de grands yeux jaloux, très élégante. Elle habite rue de Rivoli, au coin de la rue d’Alger, et reçoit beaucoup. Goûtant un plaisir de veuve à marier les gens, il lui arrive, après avoir pourvu les filles, de laisser les pères choisir des amies dans sa société, cela naturellement, en toute bonne grâce, sans que le monde y trouve jamais matière à scandale [82]. C’est dans son salon qu’est née la liaison de madame Guibal avec le comte de Boves. Madame Desforges est la maîtresse d’Octave Mouret; elle s’est donnée à lui, comme emportée dans le brusque amour dont il l’attaquait ; elle l’adore avec la violence d’une femme de trente-cinq ans déjà, qui n’en avoue que vingt-neuf, désespérée de le sentir plus jeune, tremblant de le perdre. Une indiscrétion de Bouthemont la rend jalouse de Denise Baudu, elle s’aveugle au point de vouloir ramener Octave en humiliant la jeune fille, mais, prise à son propre piège, il ne lui reste, pour tirer vengeance, qu’à faire commanditer Bouthemont par Hartmann, comme Hartmann avait déjà commandité Mouret [393]. (Au Bonheur des Dames.)
Désir (Veuve). — Tient le bal du Bon-Joyeux. C’est une forte mère de cinquante ans, d’une rotondité de tonneau, mais d’une telle verdeur, qu’elle a encore six amoureux, un pour chaque jour de la semaine, dit-elle, et les six à la fois le dimanche. Elle appelle tous les charbonniers ses enfants, attendrie à l’idée du fleuve de bière qu’elle leur verse depuis trente années; elle se vante aussi que pas une hercheuse ne devient grosse, sans s’être à l’avance dégourdi les jambes chez elle [174]. Pour elle, toutes les autorités, tous les patrons, ce sont des gendarmes, un terme de mépris général, où elle enveloppe les ennemis du peuple [265]. La veuve Désir prête sa salle de bal à des mineurs en grève et, à l’arrivée du commissaire, elle les aide à s’esquiver [281]. (Germinal.)
Deslignières. — Bimbelotier de la rue Saint-Roch. Un gros homme sanguin, menacé par l’apoplexie. Il ne dérage pas depuis que le Bonheur des Daines lui fait une victorieuse concurrence et affiche les porte-monnaie à trente pour cent de rabais [264]. (Au Bonheur des Dames.)
Desmarquay. — Agent de change, rue Saint-Lazare [391]. Trublot est employé chez lui. (Pot-Bouille.)
Desroches. — Notaire au Chêne-Populeux. Sa petite maison blanche, d’aspect bourgeois et calme, à deux étages, fait l’angle de la rue de Vouziers et de la place. Elle a été réquisitionnée pour l’empereur, le 27 août 1870, pendant la marche de l’armée de Mac-Mahon. Napoléon III habite au premier une chambre à peine éclairée. Ce qui flambe dans la maison, c’est la cuisine, au rez-de-chaussée, une vraie fournaise où rôtit et bout le dîner d’un empereur; il y a trois cuisiniers, en vestes blanches éblouissantes, s’agitant devant des poulets enfilés dans une immense broche, remuant des sauces au bout d’énormes casseroles dont le cuivre reluit comme de l’or [115]. Là-haut l’empereur, silencieux et las devant son couvert, porte à peine deux bouchées à ses lèvres et repousse tout le reste de la main, regardant la nappe de ses yeux vacillants, troubles et pleins d’eau; tandis qu’au-dessous, dans le braisillement des bougies et la fumée des plats, on voit une tablée d’écuyers, d’aides de camp, de chambellans en train de vider les bouteilles des fourgons, d’engloutir les volailles et de torcher les sauces, au milieu de grands éclats de voix; la certitude erronée de la retraite enchante tout ce monde, qui compte bien coucher à Paris, dans des lits propres, avant huit jours [118]. Mais c’est pendant cette nuit que la marche vers la Meuse, abandonnée dans un instant de lucidité, sera reprise pour le salut du régime impérial; c’est la nuit du crime, la nuit abominable d’un assassinat de nation, car l’armée dès lors se trouvera en détresse, cent mille hommes seront envoyés au massacre [120]. (La Débâcle.)
Desroches (Madame). — Mère du notaire. La très vieille et très bonne madame Desroches, dont la maison touchait celle des Levasseur, a beaucoup gâté Maurice lorsqu’il était enfant [113]. Elle a soixante-dix ans passés au moment de la guerre. Forcée d’aller coucher sous les toits, dans un lit de bonne, pour assurer un logis convenable aux gens de Napoléon 111, elle aurait donné bien volontiers sa maison à l’empereur, mais il a avec lui des personnages trop mal élevés, prenant tout, manquant tout brûler à force de faire du feu. Elle trouve au pauvre souverain la mine d’un déterré [117]. (La Débâcle.)
Desrumaux (Baron). — Un des chercheurs qui, au XVIIIe siècle, ont développé l’industrie de la houille dans le nord de la France. D’une intelligence héroïque, il s’est débattu sans faiblir, au milieu de continuels obstacles : premières recherches infructueuses, fosses nouvelles abandonnées au bout de longs mois de travail, éboulements qui comblaient les trous, inondations subites qui noyaient les ouvriers, centaines de mille francs jetées dans la terre ; puis, les tracas de l’administration, les paniques des actionnaires, la lutte avec les seigneurs terriens, résolus à ne pas reconnaître les concessions royales, si l’on refusait de traiter d’abord avec eux. Il a fondé la société Desmuraux, Fauquenoix et Cie, pour exploiter la concession de Montsou; deux concessions voisines, celles de Cougny et de Joiselle, ont été réunies à cette dernière le 25 août 1760 et dès lors, la Compagnie des mines de Montsou s’est trouvée créée, telle qu’elle existe encore aujourd’hui. Le capital a été divisé en deux cent quatre-vingt-huit deniers de dix mille francs chacun. Dans le partage, le baron Desrumaux a eu soixante-quinze deniers et en a fait prendre un par son régisseur. Honoré Grégoire [83]. (Germinal.)
Desvignes (Adèle). — Mariée à Bouchard, chef de bureau au ministère de l’intérieur, qui l’a épousée parce qu’il tenait à l’honnêteté. C’est une demoiselle très bien élevée, d’une honorable famille de Rambouillet. Blonde, petite, adorable, avec la naïveté un peu fade de ses yeux bleus, elle en est à son troisième amant, au bout de quatre ans de mariage [51]. Elle soigne l’avancement de son mari, en compagnie de Jules d’Escorailles, secrétaire du ministre Rougon [169]. Très complaisante, elle paie de sa personne dans les manœuvres de madame Correur [228] et, quand elle a un quatrième amant, Georges Duchesne, commis principal dans la division de son mari, elle n’hésite pas à demander pour lui une place de sous-chef à Rougon, s’offrant gentiment à celui-ci, s’abandonnant avec tranquillité [282]. {Son Excellence Eugène Rougon.)
Dide (Tante). — Voir FOUQUE (Adélaïde).
Dieudonné (Madame). — Femme du méger de la Séguiranne. Elle a recueilli sa nièce Sophie, sauvée de la phtisie par Pascal [53]. (Le Docteur Pascal.)
Domergue. — Ancien conducteur des ponts et chaussées, à Plassans. Père de madame Campardon [11]. (Pot-Bouille.)
Domergue (Madame). — Femme de Domergue. Vit retirée à Plassans avec son mari. Elle a recommandé Octave Mouret à sa fille Rose [13]. (Pot-Bouille.)
Domergue (Rose). —A vingt ans, elle était maigre et laide, chétive comme une fille qui souffre de la crise de sa puberté. Mariée avec trente mille francs de dot à l’architecte Campardon, elle a été mère dès la première année, ses couches lui ont laissé une maladie incurable et elle a, dés lors, vécu dans une chasteté forcée. Lorsque sa fille Angèle a treize ans, Rose est devenue dodue, elle a un teint clair et reposé de nonne, avec des yeux tendres, des fossettes, un air de chatte gourmande [10]. C’est un épanouissement tardif de blonde indolente, dans une égoïste contemplation de soi-même. Elle consacre chaque jour de longues heures à sa toilette et, vêtue de soie, noyant sous des dentelles la délicatesse de son cou blanc, elle vit dans un luxe et une beauté d’idole sans sexe [226]. Elle a une bonne odeur fraîche de fruit d’automne. Maternelle avec son mari qui la berce de doux noms, satisfaite de sa part de caresses, elle a accepté les amours de Campardon et de Gasparine, puis elle exige que celle-ci vienne s’installer auprès d’elle et, dès lors, le ménage à trois prospère décemment, dans une paix bourgeoise. (Pot-Bouille.)
Drouard (Madame). — Vieille actrice des Variétés. Joue le rôle de Junon dans la Blonde Vénus [167]. (Nana.)
Dubreuil. — Cousin des Levasseur. A été sous-directeur de la Raffinerie générale, au Chêne-Populeux, à l’époque où Weiss y était employé; puis, en 1868, à la suite d’un héritage fait par sa femme, il s’est retiré dans une belle propriété, l’Ermitage, dont les terrasses s’étendent près de Sedan, vers le Fond de Givonne. La veille de la bataille, dans la certitude du désastre, Dubreuil s’est résigné à emmener sa femme et ses enfants à Bouillon [369]. L’Ermitage est complètement saccagé pendant la lutte [419]. (La Débâcle.)
Dubruel. — Charcutier à Plassans, enrôlé dans les troupes de l’ordre pour délivrer la mairie. Plein d’une émotion poltronne et dans sa hâte aveugle d’en finir, il décharge son arme en l’air [289]. Trois jours après, victime de ses propres amis, il est tué dans le guet-apens organisé par Pierre Rougon contre les républicains [351]. (La Fortune des Rougon.)
Dubuche (Alice). — Fille de Louis Dubuche et de Régine Margaillan. Est venue avant terme, si mal finie qu’elle ne marche pas encore à six ans. Pour développer ses muscles, on la met au trapèze, ses frêles mains de cire prennent la barre, elle ne dit rien, mais dans la terreur de cet exercice, elle a de grands yeux pâles et sa légèreté pitoyable est telle que les cordes ne se tendent même pas [425]. (L’Œuvre.)
Dubuche (Gaston). — Le premier enfant de Louis Dubuche et de Régine Margaillan. Un pauvre être malingre qui, à l’âge de dix ans, a les membres mous de la petite enfance; ou exerce ses membres grêles au trapèze, mais il ne peut se hausser sur les poignets, et le moindre effort suffit pour le mettre en sueur [424]. (L’Œuvre.)
Dubuche (Louis). —Fils aîné d’une boulangère de Plassans. Camarade d’enfance de Claude Lantier et de Pierre Sandoz. Était pensionnaire au collège; il avait dès cette époque les jambes lourdes, la chair endormie du bon élève piocheur. Sa mère, très âpre, très ambitieuse, l’a envoyé à Paris, où il suit les cours de l’Ecole comme élève architecte. C’est un gros garçon brun, au visage correct et bouffi, les cheveux ras, la moustache déjà forte. Il habite rue Jacob, au sixième étage d’une grande maison froide et vit chichement des dernières pièces de cent sous que ses parents ont placées sur lui avec une obstination de juifs qui escomptent l’avenir à trois cents pour cent. Malgré quinze mois d’apprentissage chez Dequersonnière, malgré son effort de gros travailleur, il a failli être retoqué à l’École ; l’imagination lui manque, il n’est ferré que sur la partie scientifique.
La pondération de sa nature, son respect pour les formules établies sont bousculés par la peinture déréglée de Claude, mais comme ses amis le plaisantent et le traitent de sale bourgeois, il bat en retraite et affecte une allure très révolutionnaire. Lorsque Claude le pousse vers une nouvelle formule architecturale, l’édifice où la démocratie sera chez elle, loin des bijoux d’art de la Renaissance, quelque chose d’immense et de fort, disant la grandeur de nos conquêtes, il ne demande que le temps d’arriver et il promet de réaliser des merveilles quand il sera libre. En attendant, la nécessité de vivre l’a poussé vers de basses besognes, en dehors de ses travaux d’École; il gagne vingt-cinq sous de l’heure à remettre les maisons debout, chez un architecte incapable de se tirer d’un décalque, et qui travaille pour le grand entrepreneur Margaillan. Dès lors, sa continuelle préoccupation d’une fortune prompte l’attire auprès de ce dernier; il renonce au prix de Rome, dans la certitude d’être battu, expose un projet de pavillon, fortement retouché par Dequersonnière, décroche une médaille, grâce à ta carrure tranquille de son patron qui préside le jury, et comme cette récompense emballe le père Margaillan, vieux parvenu illettré qui rêve un gendre à diplômes, Dubuche devient le mari de la pâle Régine, réalisant ainsi son ambition de grosse richesse [215].
Dès ce jour, il ne vient aux jeudis de Sandoz qu’avec la peur de compromettre sa fortune nouvelle, évitant de parler de sa femme pour ne pas avoir à l’amener, expliquant lentement les tracas de son installation, le travail qui l’accable, depuis qu’il s’occupe des constructions de son beau-père, toute une rue à bâtir, près du parc Monceau [260]. Mais ce bonheur dure peu. Après une invention déplorable, un four à briques où deux cent mille francs ont été engloutis, Dubuche est revenu aux constructions, il a prétendu appliquer les anciennes théories qu’il tenait de ses camarades, tout un ensemble qui doit renouveler l’art de bâtir, mais mal digéré, appliqué hors de propos, sans flamme créatrice. C’est une suite de catastrophes qui mettent Margaillan hors de lui, un désastre lamentable où la science du gendre est battue par l’ignorance du beau-père, où l’École fait banqueroute devant un maçon. Les millions ne peuvent péricliter plus longtemps, Dubuche est relégué à la Richaudière, ainsi qu’un invalide de la vie.
Epaissi par l’argent, gâté, désorienté, il en est réduit à vivre dans l’amertume des reproches insultants de son beau-père; l’office et l’antichambre le traitent en mendiant ; il est partagé entre les potions de sa femme malade et les soins à donner à ses deux enfants, fœtus venus avant terme, condamnés à la scrofule et à la phtisie, et que l’on élève sous de l’ouate [343]. Son unique satisfaction est d’avoir rendu à ses parents ce qu’ils ont avancé pour l’instruire ; il a fait mettre pour eux une rente au contrat. Peu d’années ont suffi à le vieillir: son visage bouffi s’est ridé, d’un jaune veiné de rouge, comme si la bile éclaboussait la peau, tandis que les cheveux et les moustaches grisonnent déjà; le corps s’est tassé, une lassitude amère appesantit chaque geste. C’est la défaite de l’argent, aussi lourde que celles de l’art [425]. (L’Œuvre.)
Dubuche (Madame Louis). —Voir MARGAILLAN (Régine.)
Ducat. — Franc-tireur des bois de Dieulet. Petit et gros, blême, les cheveux rares. C’est un ancien huissier de Blainville, forcé de vendre sa charge après des aventures malpropres avec des petites filles ; il vient encore de risquer la Cour d’assises, pour les mêmes ordures, à Raucourt, où il était comptable, dans une fabrique. Ducat émaille son discours de citations latines. Compagnon de Cabasse et du sergent Guillaume Sambuc, c’est lui qui, par dérision, joue le rôle du défenseur de Goliath Steinberg, dans le simulacre de conseil de guerre qui précède la saignée de l’espion [536]. (La Débâcle.)
Duchesne (Georges). — Commis principal au ministère de l’intérieur, il est le quatrième amant de madame Bouchard, femme de son chef de division. Grâce à elle, il deviendra très vite sous-chef [431]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Ducloux (La). — Une vieille femme des environs de la Croix-de-Maufras, ancienne servante d’auberge, qui vit de gains louches, amassés autrefois [352]. Misard a été autorisé à la prendre avec lui après ta mort de Flore, pour garder la barrière, et comme il est devenu veuf, la Ducloux, travaillée du désir de se faire épouser, est aux petits soins, inquiète de ce que jamais plus il ne ferme l’œil [355]. S’étant vite aperçue, à le voir fouiller dans les coins, qu’il doit chercher un magot, elle a le génie de se faire épouser par lui, en donnant à entendre qu’elle connaît la cachette. Devenue la seconde madame Misard, renseignée sur la passionnante recherche, elle s’allume à la contagion et fouille désormais partout avec son homme, désormais aussi enragée que lui [408]. (La Bête humaine.)
Dumonteil. — Un riche fabricant de soieries de Lyon. A les reins assez solides pour accepter les exigences des grands magasins, se contentant d’alimenter avec eux ses métiers, quitte à chercher ensuite des bénéfices en vendant aux maisons moins importantes [230]. C’est lui qui fournit au Bonheur des Dames, une faille à lisière bleu et argent, le fameux Paris-Bonheur, qui révolutionne la place de Paris [45]. (Au Bonheur des Dames.)
Du Poizat, père. — Ancien huissier à Coulonges, petite ville de l’arrondissement de Niort. C’est un vieillard blême, extrêmement avare, qui refuse tout argent à son fils et a même braqué un pistolet sur lui, un; jour où Léopold s’était hasardé à lui demander dix mille francs pour monter une affaire superbe [180]. Il vit comme un loup, au fond d’une vieille maison en ruine, avec des fusils chargés dans son vestibule. Son fils, devenu préfet de l’Empire et voulant l’éblouir par ses belles broderies, cherche à forcer sa porte; il en résulte un drame mystérieux et sans témoin, à la suite duquel on trouve le vieil usurier étendu au pied de son escalier, la tête fendue [406]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Du Poizat (Léopold). — Petit homme mince, la mine chafouine, avec des dents très blanches mal rangées [32]. Appartient à ta bande du ministre Rougon, qu’il a connu autrefois à l’hôtel Vaneau, chez madame Correur, sa compatriote. Du Poizat faisait alors son droit à Paris, où son père lui servait une maigre pension de cent francs par mois [33]. Ce garçon rageur et cynique a été utilisé aux premiers temps de la propagande bonapartiste; il a emporté de haute lutte l’élection de Rougon à Niort et, après le coup d’Etat, a reçu sa récompense en devenant sous-préfet de Bressuire, presque chez lui, à quelques lieues de son père dont l’avarice l’a toujours fait souffrir [34]. Quand Rougon tombe en disgrâce. Du Poizat est forcé de donner sa démission et il recommence à crever de faim comme en 1848 [180]. Ecœuré de sa mésaventure, il agite ses poings chétifs d’enfant malade, traite les gens des Tuileries de cochons [41] et travaille la presse, le monde, la Bourse, pour ramener Rougon au pouvoir, il est le plus acharné de la bande. Au jour du succès, Du Poizat devient, préfet des Deux-Sèvres, il rêve plus que jamais de venger son enfance [304], mais, toujours rageur et toujours cynique, il pousse trop loin l’arbitraire, terrorisant Niort, imposant les basses tyrannies de Gilquin, arrêtant les gens à tort et à travers, allant jusqu’à provoquer la mort du père Du Poizat dans des conditions inexpliquées [406]. Quand ses lourdes fautes ont précipité la nouvelle chute de son protecteur, il s’empresse d’entrer dans le jeu de Clorinde et obtient d’être seulement déplacé [434]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Durieu. — Un brasseur millionnaire. Il a été séduit par le charme de Caroline Hamelin et l’a épousée. Mais Durieu, alcoolique dangereux, poursuit sa femme avec un couteau, dans des crises de jalousie furieuse. Aussi une séparation intervient-elle. Durieu meurt fou dans une maison de santé [64]. (L’Argent.)
Durieu (Madame). — Voir CAROLINE (Madame).
Durieu (Le Père). — Commissionnaire à Plassans. Vieux Provençal taciturne [34]. (Le Docteur Pascal.)
Dutilleul. — Minoterie de Montsou, du côté de la veine Guillaume. La grève des mineurs arrête ses meules [125]. (Germinal.)
Duveyrier (Alphonse). —Conseiller à la Cour d’appel. Issu d’une vieille famille bourgeoise, fils d’un président de cour, a été attaché au parquet dès sa sortie de l’école, plus tard juge suppléant à Paris, décoré, conseiller avant quarante-cinq ans. Pas plus fort qu’un autre, il a été poussé par tout le monde. Duveyrier est grand et maigre. Il a la face rasée, un menton pointu et des yeux obliques ; sa peau est marquée de larges plaques rouges, indiquant un sang mauvais, toute une âcreté brûlant à fleur de peau [104]. Marié à Clotilde Vabre avec qui il habite dans la maison du beau-père, rue de Choiseul, ses gros appétits de mâle ont été déçus parle dégoût physique qu’il inspire à sa femme. Aussi a-t-il toujours quelque maîtresse, logée par précaution dans des quartiers lointains, au bout des lignes d’omnibus, et chez qui il va une fois par semaine, régulièrement, ainsi qu’un employé se rend à son bureau [166].
La dernière en date est Clarisse Bocquet, qui répond sans doute à un idéal longtemps cherché, car il s’est violemment épris d’elle; il pleure en lui baisant les paupières, tout secoué dans ses ardeurs charnelles par un besoin de cultiver la petite fleur bleue des romances. C’est chez Clarisse qu’il reçoit ses amis et, dans ce salon de la rue de la Cerisaie, le sentencieux Duveyrier, si morne chez sa femme, retrouve un air de jeunesse, les taches saignantes de son front tournent au rose, ses yeux obliques luisent d’une gaieté d’enfant [169]. Les visites hebdomadaires ne lui suffisent plus; il s’échappe entre deux suspensions d’audience, faisant seulement à la dignité de la magistrature la concession de retirer son ruban rouge quand il arrive chez sa maîtresse. Il croit d’ailleurs à la parfaite vertu de Clarisse qui, pourtant, le trompe sans scrupule, et il reste pétrifié te jour où elle le lâche brutalement. C’est pour Duveyrier une immense amertume, dont il est à peine distrait parla mort du vieux Vabre et les manœuvres à accomplir, de connivence avec Clotilde, pour spolier ses deux beaux-frères. Dans son désarroi de mâle abandonné, il couche avec Adèle, la bonne des Josserand, mais rien ne remplace Clarisse et, lorsqu’un jour le hasard la lui fait rencontrer sous une porte, il est trop heureux de la reprendre, de la réinstaller rue d’Assas dans un bel appartement, acceptant ses nouvelles conditions, renonçant à l’amusant intérieur d’autrefois, se résignant, lui que la musique horripile, à subir la torture d’un piano, retrouvant chez sa maîtresse un coin de bourgeoisie féroce où se répètent tous les ennuis de son ménage, dans de l’ordure et du vacarme [397].
Mais cette secousse l’a profondément atteint; des embarras d’argent lui sont venus, il baisse, les jeunes avocats le regardent d’un air polisson, ce qui le gêne pour rendre la justice [450]. Jeté dans l’escalier par la famille de Clarisse, il a essayé de se suicider et cette tentative ratée l’a laissé, la mâchoire de travers, déviée à gauche. Il va d’ailleurs devenir président de chambre et officier de la Légion d’honneur, juste récompense de sa férocité de magistrat. Et Duveyrier remplacera Clarisse par une nouvelle maîtresse un peu mûre, mais romanesque, l’âme élargie par cet idéal dont il a besoin pour épurer l’amour [488]. (Pot-Bouille.)
Duveyrier (Madame Alphonse). — Voir VABRE (Clotilde).
Duveyrier (Gustave). — Fils du conseiller à la cour. Fait sa rhétorique au lycée Bonaparte. A seize ans, il est mince et précoce [262]. Gustave couche avec la cuisinière de ses parents, Julie, qui contracte, grâce à la malpropreté du jeune homme, une mauvaise maladie [487]. (Pot-Bouille.)
Duvillard. — Possesseur d’un grand hôtel Louis XIV, attenant à la masure de Bourras, rue de la Michodière. Cet hôtel est acheté par Octave Mouret pour les agrandissements de ses magasins [23]. (Au Bonheur des Dames.)