Le 1er mars, les Prussiens devaient entrer dans Paris, et un long cri d’exécration et de colère sortait de tous les cœurs. Maurice n’assistait plus à une réunion publique, sans entendre accuser l’Assemblée, Thiers, les hommes du 4 septembre, de cette honte suprême, qu’ils n’avaient pas voulu épargner à la grande ville héroïque. Lui-même, un soir, s’emporta jusqu’à prendre la parole, pour crier que Paris entier devait aller mourir aux remparts, plutôt que de laisser pénétrer un seul Prussien. Dans cette population, détraquée par des mois d’angoisse et de famine, tombée désormais à une oisiveté pleine, de cauchemars, ravagée de soupçons, devant les fantômes qu’elle se créait, l’insurrection poussait ainsi naturellement, s’organisait au plein jour. C’était une de ces crises morales, qu’on a pu observer à la suite de tous les grands sièges, l’excès du patriotisme déçu, qui, après avoir vainement enflammé les âmes, se change en un aveugle besoin de vengeance et de destruction. Le Comité central, que les délégués de la garde nationale avaient élu, venait de protester contre toute tentative de désarmement. Une grande manifestation se produisit, sur la place de la Bastille, des drapeaux rouges, des discours de flamme, un concours immense de foule, le meurtre d’un misérable agent de police, lié sur une planche, jeté dans le canal, achevé à coups de pierre. Et, deux jours plus tard, dans la nuit du 26 février, Maurice, réveillé par le rappel et le tocsin, vit passer sur le boulevard desBatignolles des bandes d’hommes et de femmes qui traînaient des canons, s’attela lui-même à une pièce avec vingt autres, en entendant dire que le peuple était allé prendre ces canons, place Wagram, pour que l’Assemblée ne les livrât pas aux Prussiens. Il y en avait cent soixante-dix, les attelages manquaient, le peuple les tira avec des cordes, les poussa avec les poings, les monta jusqu’au sommet de Montmartre, dans un élan farouche de horde barbare qui sauve ses dieux. Lorsque, le 1er mars, les Prussiens durent se contenter d’occuper pendant un jour le quartier des Champs-Elysées, parqués dans les barrières, ainsi qu’un troupeau de vainqueurs inquiets, Paris lugubre ne bougea pas, les rues désertes, les maisons closes, la ville entière morte, voilée de l’immense crêpe de son deuil.