Dix jours après la bataille, on avait encore amené des blessés, oubliés, retrouvés dans les coins. Quatre étaient restés dans une maison vide de Balan, sans aucun soin médical, vivant on ne savait comment, grâce à la charité de quelque voisin sans doute ; et leurs blessures fourmillaient de vers, ils étaient morts, empoisonnés par ces plaies immondes. C’était cette purulence que rien ne pouvait combattre, qui soufflait et vidait des rangées de lits. Dès la porte, une odeur de nécrose prenait à la gorge. Les drains suppuraient, laissaient tomber goutte à goutte le pus fétide. Souvent, il fallait rouvrir les chairs, en extraire encore des esquilles ignorées. Puis, des abcès se déclaraient, des flux qui allaient crever plus loin. Epuisés, amaigris, la face terreuse, les misérables enduraient toutes les tortures. Les uns, abattus, sans souffle, passaient leurs journées sur le dos, les paupières closes et noires, ainsi que des cadavres à demi décomposés déjà. Les autres, sans sommeil, agités d’une insomnie inquiète, trempés d’abondantes sueurs, s’exaltaient, comme si la catastrophe les eût frappés de folie. Et, qu’ils fussent violents ou calmes, quand le frisson de la fièvre infectieuse les gagnait, c’était la fin, le poison triomphant, volant des uns aux autres, les emportant tous dans le même flot de pourriture victorieuse.