Et ce fut de la sorte qu’Henriette, dans de vieux journaux, lut à Jean les événements de Metz, les grandes batailles héroïques qui avaient recommencé par trois fois, à un jour de distance. Elles dataient de cinq semaines déjà, mais il les ignorait encore, il les écoutait, le cœur serré de retrouver là-bas les misères et les défaites dont il avait souffert. Dans le silence frissonnant de la pièce, pendant qu’Henriette, de sa voix un peu chantante d’écolière appliquée, détachait nettement chaque phrase, l’histoire lamentable se déroulait. Après Frœschwiller, après Spickeren, au moment où le 1er, corps, écrasé, entraînait le 5e dans sa déroute, les autres corps, échelonnés de Metz à Bitche, hésitaient, refluaient dans la consternation de ces désastres, finissaient par se concentrer en avant du camp retranché, sur la rive droite de la Moselle. Mais quel temps précieux perdu, au lieu de hâter, vers Paris, une retraite qui allait devenir si difficile ! L’Empereur avait dû céder le commandement au maréchal Bazaine, dont on attendait la victoire. Alors, le 14, c’était Borny, l’armée attaquée au moment où ellese décidait enfin à passer sur la rive gauche, ayant contre elles deux armées allemandes, celle de Steinmetz immobile en face du camp retranché qu’elle menaçait, celle de Frédéric-Charles qui avait franchi le fleuve en amont et qui remontait le long de la rive gauche, pour couper Bazaine du reste de la France, Borny dont les premiers coups de feu n’avaient éclaté qu’à trois heures du soir, Borny cette victoire sans lendemain, qui laissa les corps français maîtres de leurs positions, mais qui les immobilisa, à cheval sur la Moselle, pendant que le mouvement tournant de la deuxième armée allemande s’achevait. Puis, le 16, c’était Rézonville, tous les corps enfin sur la rive gauche, le 3e et le 4e seulement en arrière, attardés dans l’effroyable encombrement qui se produisait au carrefour des routes d’Etain et de Mars-la-Tour, l’attaque audacieuse de la cavalerie et de l’artillerie prussiennes coupant ces routes dès le matin, la bataille lente et confuse que, jusqu’à deux heures, Bazaine aurait pu gagner, n’ayant qu’une poignée d’hommes à culbuter devant lui, et qu’il avait fini par perdre, dans son inexplicable crainte d’être coupé de Metz, la bataille immense, couvrant des lieues de coteaux et de plaines, où les Français, attaqués de front et de flanc, avaient fait des prodiges pour ne pas marcher en avant, laissant à l’ennemi le temps de se concentrer, travaillant d’eux-mêmes au plan prussien qui était de les faire rétrograder de l’autre côté du fleuve. Le 18 enfin, après le retour devant le camp retranché, c’était Saint-Privat ; la lutte suprême, un front d’attaque de treize kilomètres, deux cent mille Allemands, avec sept cents canons, contre cent vingt mille Français, n’ayant que cinq cents pièces, les Allemands la face tournée vers l’Allemagne, les Françaisvers la France, comme si les envahisseurs étaient devenus les envahis, dans le singulier pivotement qui venait de se produire, la plus effrayante mêlée à partir de deux heures, la garde prussienne repoussée, hachée, Bazaine longtemps victorieux, fort de son aile gauche inébranlable, jusqu’au moment, vers le soir, où l’aile droite, plus faible, avait dû abandonner Saint-Privat, au milieu d’un horrible carnage, entraînant avec elle toute l’armée, battue, rejetée sous Metz, enserrée désormais dans un cercle de fer.