La Débâcle – 1941

Cependant, Maurice et Jean, de nouveau, s’accoutumaient ; et, dans l’excès de leur affolement, venait une sorte d’inconscience et de griserie, qui était de la bravoure. Ils finissaient par ne plus même se hâter, au travers du bois maudit. L’horreur s’était encore accrue, parmi ce peuple d’arbres bombardés, tués à leur poste, s’abattant de tous côtés comme des soldats immobiles et géants. Sous les frondaisons, dans le délicieux demi-jour verdâtre, au fond des asiles mystérieux, tapissés de mousse, soufflait la mort brutale. Les sources solitaires étaient violées, des mourants râlaient jusque dans les coins perdus, où des amoureux seuls s’étaient égarés jusque-là. Un homme, la poitrine traversée d’une balle, avait eu le temps de crier  » touché !  » en tombant sur la face, mort. Un autre qui venait d’avoir les deux jambes brisées par un obus, continuait à rire, inconscient de sa blessure, croyant simplement s’être heurté contre une racine. D’autres, les membres troués, atteints mortellement, parlaient et couraient encore, pendant plusieurs mètres avant de culbuter, dans une convulsion brusque. Au premier moment, les plaies les plus profondes se sentaient à peine, et plus tard seulement les effroyables souffrances commençaient, jaillissaient en cris et en larmes.